La loi votée le 8 février 2010 et nommant précisément l’inceste dans la liste des crimes et délits figurant dans le code pénal vient d’être invalidée par le Conseil constitutionnel. Nous avons eu l’occasion de donner notre avis en son temps sur l’opportunité de cette loi (cf l’édito de notre lettre d’info de février 2010 signé par André Ciavaldini). Peut-être n’est-il pas inutile d’y revenir.
Rappelons tout d’abord que l’inceste est bien plus qu’un interdit. Ou plus exactement, il se situe ailleurs ; il renvoie à « l’autre scène », celle de l’inconscient, collectif et individuel. Et qui oserait aujourd’hui contester sans se couvrir de ridicule les découvertes sur ce point de la psychanalyse et de l’anthropologie ? Il s’agit donc d’un tabou, fondateur à la fois de la vie psychique de chacun et chacune d’entre nous et de l’organisation collective des liens de filiation et de leur transmission inter-générationnelle.
Arrêtons-nous quelques instants sur ces deux aspects. Le premier travail psychique de tout enfant est d’opérer le repérage entre ce qui est de lui-même et ce qui revient à son environnement immédiat, ce que nous, psychistes, nommons le distinction « moi /non-moi ». Plus tard viendra l’intégration des autres distinctions fondamentales que sont la différence des sexes et celle des générations. Alors pourra être posée la question de l’interdit de l’inceste et son corolaire, la loi de l’exogamie, c’est à dire l’exigence de chercher en-dehors de la famille le ou la partenaire de ses futures relations amoureuses.
Est-il besoin de rappeler cette évidence que ni dans la famille, ni à l’école, ne sont prévues des séances d’explication de ces mécanismes, et pourtant nous constatons qu’ils deviennent opérants, presque à notre insu, dans l’intimité du psychisme de chacun(e). Quant au plan sociétal, il suffit de se pencher sur le registre d’état civil d’une commune rurale pour constater la fréquence du schéma où l’on voit le fils aîné hériter des terres et de la ferme et chercher dans un village ou une vallée voisine celle qui va devenir la mère de ses enfants.
Nous savons aujourd’hui que c’est dans le ratage de ce processus de transmission que se situe l’origine des actes délictueux que nous avons à traiter. Même chez les sujets qui, sur un plan conscient, peuvent donner l’impression de les avoir intégrés. Rappelons au passage que le plus grand nombre d’entre eux ont pu s’inscrire dans une vie sociale et familiale « normale », ce qui vient prouver s’il en était besoin que nous sommes bien là devant des mécanismes inconscients.
Mais revenons à la loi. Serions-nous aujourd’hui démunis, magistrats, soignants et travailleurs sociaux, après l’invalidation de cette loi. Non, évidemment, puisque le législateur, imprégné de la sagesse issue à la fois du droit romain et du siècle des Lumières, avait envisagé cette situation. Pour le comprendre, il convient de nous référer d’une part au code pénal, qui nomme précisément les actes transgressifs, avec leur indice de gravité et leurs circonstances aggravantes ou atténuantes, d’autre part au code civil, qui définit le degré de parenté au-delà duquel notre société refuse d’entériner un éventuel lien d’union.
Ainsi l’inceste n’est-il pas nommé en tant que tel, mais « dit entre » les deux codes. Cette façon de traiter cette question dans l’inter-dit fait office de tiers séparateur dans notre manière de la penser et renvoie la notion d’inceste dans le registre symbolique duquel elle n’aurait jamais dû sortir. L’importance structurelle de ce tabou, tant au niveau culturel qu’intra-psychique, ne peut se contenter du registre opératoire dans lequel cette loi risquait de le confiner. C’est ce que le Conseil constitutionnel, institution tierce s’il en est, vient à sa façon de rappeler.
André Grépillat. Psychologue clinicien. Responsable adjoint de la délégation de Grenoble du CRIAVS-RA.
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