Par le Docteur Dominique STRAUB
CRIAVS Rhône-Alpes Responsable du territoire de la Loire
" Elle termine de placer les écouteurs de son Iphone, elle vérifie que son jogging marqué par une virgule, tombe bien, et qu’elle a bien aux pieds ses Asics Kayano.
Elle ne laisse rien au hasard, depuis qu’elle a été acceptée au Marathon du Mont Blanc. Elle espère bien faire la distance, avec les dénivelés, en moins de 9 heures…Le régime est au point, le programme d’entrainement est révisé en fonction de ses résultats avec son coach…le mental, la confiance en soi, c’est primordial.
Elle s’élance sur le parcours qu’elle connaît par cœur depuis 3 ans, chaque mètre correspond à un repère pour le rythme respiratoire et la fréquence cardiaque, rien n’est improvisé.
Elle sourit…intérieurement en pensant à ses amies qui se réveillent à peine.
« Just do it*» dit le slogan de la marque qu’elle porte.
Depuis quelques jours, le « prédateur » a repéré la fine silhouette, colorée de tons pastels. Il la voit s’enfoncer dans le feuillage qui borde la piste cavalière, désertée à cette heure…il voit même la virgule : « Just do it*» ? "
La suite de ce scénario envahit régulièrement, les premières pages des médias : " la joggeuse enlevée a été tuée…la joggeuse avait décrit la voiture au téléphone depuis le coffre de son ravisseur… le coupable présumé est un récidiviste ".
L’enchainement polémique sur l’insécurité et la récidive, repart aussitôt avec un mélange de propos annonçant plus de répression et de détails sordides.
La pratique du jogging est-il un sport à haut risque ?
L’étude présentée par Véronique Le GOAZIOU et Laurent MUCCHIELLI "Les viols jugés aux assises : typologie et variations géographiques " (CESDIP septembre 2010) permet d’approcher la réalité, à travers les jugements en Cours d’Assises. La proportion de viols commis survenus entre des auteurs et des victimes ne se connaissant pas du tout, est de 17%.
Sans minimiser l’horreur de ces crimes, constatons simplement que l’impact médiatique est d’une autre ampleur.
Que véhicule l’image des joggeuses, pour connaître ce succès médiatique ?
Le terme de joggeuse évoque une femme jeune, manifestant un intérêt pour son corps, à travers une pratique qui était il y a peu, plutôt masculine, recherchant souvent la performance, portant une tenue légère, maintenant envahie par la mode, et parfois seule, dans des lieux isolés, devenus rassurants par l’habitude.
La joggeuse a maintenant une apparence standardisée, interchangeable.
Cela favorise-t-il la désubjectivation de la personne, au point qu’elle devienne un objet de consommation connu et reconnu, pour le " prédateur " tapi dans les fourrés ?
Et puis, en octobre 2010, il y a eu Marine, 18 ans, " la joggeuse qui dit avoir été victime d’un enlèvement dimanche… ", en Seine-et-Marne.
Elle fait une seule fois la une.
Rapidement les médias investiguent et trouvent " le témoignage troublant d’un témoin, âgé, qui a vu la jeune fille et a trouvé suspect qu’elle se soit enfuie quand il s’est approché d’elle…".
L’enquête policière conclut en quelques heures, à une fugue, et l’intérêt médiatique s’évanouit.
La joggeuse retrouve un nom, Marine, " une élève surdouée qui n’est peut-être pas la jeune fille tranquille que ses parents décrivent ".
Rien ne sera évoqué de ce qui a conduit Marine à devenir la joggeuse " enlevée par un cycliste la menaçant d’un couteau ".
Le choix de ce scénario par Marine, montre qu’il est vécu comme ayant un potentiel de mobilisation médiatique certain.
Mais dépouillé du sordide, la généralisation sous le terme de joggeuse, n’opère plus, et Marine est renvoyée à son histoire personnelle, dans la sphère privée : " La joggeuse va être examinée par un psychiatre ".
À la transparence médiatique du sujet exposé parfois de façon obscène, répond l’évanescence médiatique de la souffrance de Marine.
Sources des citations : Le Parisien et l´Express