Éditorial par Pierre-Yves ÉMERAUD, CRIAVS Rhône-Alpes
La dernière enquête du centre de recherche sociologiques (Septembre 2010) sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) conduite par V. Le Goaziou et L. Mucchielli* livre des enseignements majeurs.
Si les condamnations pour viols ont triplé entre la seconde moitié des années 80 et la fin des années 90, pour stagner durant les années 2000, le viol reste le crime le plus courant jugé en cours d’assises et celui qui est sanctionné le plus sévèrement. (En 1984 : 18% des peines de prison pour viol étaient supérieures à 10 ans, en 2008 : 43%). En même temps deux grandes enquêtes de victimisation** couvrant la période de 2000 à 2006 attestent que seules 5 à 10% des victimes ont porté plainte. La réalité judiciaire reste donc bien éloignée de la réalité sociale…
L’enquête du CESDIP analyse 425 affaires de viol impliquant 488 auteurs et 566 victimes le tout réparti entre trois juridictions (Paris, Versailles et Nîmes).
L’enquête distingue cinq styles de viols :
1. Les viols intrafamiliaux : 47% au total
2. Les viols conjugaux : 4%, chiffre qui tranche avec l’enquête ENVEFF de 202 qui en fait le type de viol le plus fréquent. Signe qu’il s’agit donc d’un genre de viol encore peu judiciarisé par rapport aux réalités.
3. Les viols de forte connaissance : 17%
4. Les viols collectifs : 5%
5. Les viols de faible connaissance : 10% et les viols commis par des inconnus 17%.
Une grande ville comme Paris mérite des observations spécifiques. Elle est à la fois le lieu où les viols intrafamiliaux et conjugaux sont presque moitié moins nombreux qu’à Nîmes parmi les affaires jugées et le lieu où les viols de faibles ou nulle interconnaissance y sont deux fois plus nombreux, constituant presque la moitié des affaires. Est-ce l’effet d’un anonymat généralisé ?
En fait la comparaison une fois de plus entre données judiciaires et enquêtes de victimisation prouve que le mouvement de judiciarisation n’est pas uniforme. Si les incestes sont de plus en plus dénoncés, les viols conjugaux résistent à la judiciarisation qui, de toute façon, reste très inégale selon les milieux sociaux. Alors que les enquêtes de victimisation indique que la violence de proximité existe dans tous les milieux sociaux et dans des proportions comparables, cette recherche précise que 90% des auteurs de viols jugés sont issus des milieux populaires.
Autrement dit soulignent les auteurs « les viols demeurent surtout dissimulés dans les classes sociales les plus favorisées ». Ainsi si les viols par inconnus sont nettement plus nombreux à Paris dans l’ensemble des viols jugés, c’est peut-être qu’ils sont plus fréquents mais c’est peut-être aussi parce que les autres types de viols y sont considérablement moins dénoncées par des milieux sociaux aisés, surreprésentés dans la capitale !…
En conclusion cette enquête nous invite à relativiser sérieusement les discours qui tiennent la population sous main de justice pour vraiment représentative de la réalité délinquante en matière d’infractions sexuelles…
* - V. Le Goaziou, L. Mucchelli, 2010, les déterminants de la criminalité sexuelle (étude du viol) Guyancourt-Paris, CESDIP-Mission de recherche « Droit et Justice ».
** - N. Bagos, M. Bozon, 2008, les agressions sexuelles en France in « la Sexualité en France, Pratiques, Genre et Santé, Paris, la Découverte, 381-407 ».