Synthèse : témoignage des Directrices/-teurs de Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation en région Rhône Alpes

Comme en miroir de la complexité des enjeux subjectifs et intersubjectifs de cette clinique des violences sexuelles, le témoignage de certain(e)s directeurs/trices de Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation en région Rhône Alpes sollicités à l’occasion de cette lettre d’info, met en exergue certaines dimensions paradoxales que la loi de juin 98 semble encore soulever aujourd’hui. En effet, entre l’imaginaire « idéalisé » qui sous-tendait cette loi, sa portée symbolique, et le principe des réalités institutionnelles et leurs évolutions respectives qui nuance sa mise en oeuvre, il apparaît nécessaire d’entendre l’une des problématiques centrale à l’oeuvre chez nos sujets auteurs de violence sexuelle: tantôt la difficulté à dépasser des mécanismes de clivages, tantôt la tentation de la confusion de places, des fonctions, entre soi et l’Autre.


En premier lieu, lorsque nous les interrogeons « à chaud » sur ce qu’évoque pour eux la loi de 98, la figure du médecin coordonnateur, comme « 3ème interlocuteur », fait référence. Celui-ci apparaît comme « tiers », « médiateur », à l’articulation du soin et de la Justice dans le « réseau » convoqué par la définition de l’Injonction de soin dans le cadre d’une mesure de Suivi Socio-Judiciciaire dont la PPSMJ (Personne Placée Sous Main de Justice) fait l’objet. Est cependant très vite relativisée l’efficience de la loi dans la réalité. De multiples évolutions et facteurs institutionnels, temporels, contextuels, structurels semblent avoir pour effet d’essouffler un réseau interprofessionnel, de susciter un « relâchement » qui irait de pair avec la perte des contours de son « objet commun », le sens partagé de la loi par un glissement de sa forme, de son contenu, de sa logique organisatrice.

Historiquement, il nous a été transmis que la promulgation de la loi de juin 98 « est sortie en même temps que les lois contre l’exclusion », soit dans le contexte d’un mouvement juridique et gouvernemental désireux de mettre en place des moyens visant une prise en charge qualitative et quantitative plus satisfaisante des populations « à la marge » de la société. Ces avancées institutionnelles représentaient donc un symbole fort soutenu d’un « projet de société », dont certaines coordonnées ont en effet pu évoluer, depuis ces vingt dernières années, et avoir un impact sur le réseau, la qualité du « maillage » santé - justice - social.
De la promulgation à la mise en oeuvre, cette loi a mobilisé le maillage (JAP, SPIP, soignants et médecins coordonnateurs) dans une émulation qui a permis l’officialisation des pratiques, « éclaircissant les modalités de prise en charge sanitaire tout en clarifiant la distinction entre obligation et injonction de soins, chacun ayant connaissance de son cadre de travail et de ses limites tout en nous obligeant à travailler ensemble, le médecin coordonnateur se faisant pivot d’articulation où il pouvait parfois y avoir clivage du fait de l’opposition du secret médical ». 

Aussi, ce que cela a signifié dans l’évolution théorique du sens et de la dynamique dans la fonction de DSPIP a rencontré certains paradoxes dans la pratique, au sein des services. D’abord, paradoxalement, il est apparu que l’accès aux soins était plus aisé aux PPSMJ en intra carcéral (où cette loi n’a pas à être appliquée) qu’en extra carcéral et hospitalier, les moyens humains et l’articulation du réseau faisant défaut sur certains territoires. Alors, la confusion entre OS et IS pouvait y demeurer, et en conséquence, une méconnaissance et une confusion des places de chacun dans la prise en charge conjointe des patients/PPSMJ.
Par ailleurs, il est évoqué par certains DSPIP « un risque de désengagement du JAP lorsqu’une injonction est prononcée en dépit de l’absence d’un médecin coordonnateur », ce qui fait peser d’autant plus la mesure sur le SPIP avec toute la responsabilité que cela signifie, et ce malgré les moyens limités des services mandatés. Dans les situations pour lesquelles un médecin coordonnateur est disponible pour incarner ce « troisième interlocuteur dans la transmission des informations», il est parfois regretté qu’au lieu de fluidifier cette transmission, cela représente une « perte d’information », notamment lorsque le rapport annuel du médecin coordonnateur n’est pas rendu au JAP, ou qu’il n’est pas transmis du JAP au SPIP. En ce sens, la loi a de positif qu’elle peut s’appuyer sur les CRIAVS qui, par l’organisation du maillage régulier selon les territoires, tend à mettre en dialogue ces points aveugles de la loi, lorsqu’elle est transposée de la théorie à la pratique.

Selon les territoires encore une fois, les réunions de maillage santé justice sollicitées par le CRIAVS, si elles ont le mérite certes d’exister, n’ont pas le sens qu’elle pourrait pleinement avoir: l’ensemble des directeurs de SPIP formulent le souhait que la prise de parole et les échanges s’améliorent afin de mieux mettre au travail l’articulation autour des prises en charge conjointes. De plus, la réduction des moyens dans les champs professionnels concernés par cette loi rend difficile sa mise en oeuvre: la demande, de soins, de médecin coordonnateur, ne rencontre pas toujours de réponse positive, et lorsque c’est le cas, dans des délais qui ne favorise pas l’inscription dans le maillage du PPSMJ. Cela semble avoir un effet paradoxal, à nouveau, de banalisation ET de stigmatisation du public concerné.
Les points forts soutiennent cependant l’esprit initial de la loi: la création des Criavs, l’accent mis sur le pluridisciplinarité et le travail en réseau qui fonctionne aussi régulièrement, et étaye la réflexion et les rencontres interprofessionnelles enrichissantes.

Les ajustements suggérés pourraient être les suivants:
-    Moins spécialiser les lieux de soin et renforcer les effectifs médicaux
-    recruter des psychiatres et des médecins coordonnateurs
-    Une instance plus locale, complémentaire à la réunion de maillage santé justice qui prend des tournants plus institutionnels, serait peut-être pertinent. Pour ce faire, la mise en place d’une charte du secret partagé. régulièrement bien redéfinir le rôle de chacun pour mieux co-porter le cadre auprès du PPSMJ.

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