Lettre d´information n°1 - suite

Présentation et commentaire de texte

KENSEY, Annie. Prison et récidive, Paris, éd. Armand Colin, 2007, 249 p.

     Cet ouvrage de 249 pages a une volonté annoncée : fournir au lecteur, certes averti mais peut-être néophyte en matière de démographie, un corpus qui lui permet de penser scientifiquement les notions de récidive, d´inflation carcérale, de rapport quantum de peine et récidive. Composé de huit chapitres bien équilibrés, il est accompagné d´une bibliographie de 250 références, d´un glossaire et d´un index thématique permettant de se retrouver rapidement dans une telle masse de données. La préface de Nicole Maestracci, magistrat, permet de mesurer l´ampleur du travail accompli par l´auteur et l´avant-propos de Sébastien Roché  annonce la teneur du débat social auquel ce livre participe.

Pour résumer
     D´emblée il est question pour Annie Kensey de cadrer le débat et de ne pas se laisser prendre dans les rets des productions de nos démocraties émotionnelles. Partant du contexte d´inflation carcérale actuelle évoluant depuis le début des années 1970 (rapport Peyrefitte): la population carcérale a augmenté de 100% entre 1975 et 1995 (la population générale n´a cru dans le même temps que de 10%), l´auteur fait la distinction avec la surpopulation carcérale au 1er janvier 2007 on comptait 60 400 personnes sous écrou, et 140 000 suivies en milieu ouvert. En vingt ans cette population a doublé passant de 26 032 détenus en 1975 à 51 623 en 1995. L´auteur précise que cette surpopulation ne touche que les maisons d´arrêt. Au terme de son étude il appert que ce sont l´allongement des peines (les longues peines supérieurs à 5 ans) et la gestion du temps carcéral qui constituent les principaux facteurs d´engorgement pénitentiaire actuel. Les aménagements de peines (libération conditionnelle, placement extérieurs, FSL) qui contribuent à une moindre récidive sont dans notre pays dédaignés, au profit de « mesure de sûreté » (type PSEM) par souci politique de faire pièce au « sentiment d´insécurité » de nos concitoyens augmentant paradoxalement le risque de récidive.
     Dans le débat actuel, c´est bien la récidive qui centre l´intérêt des chercheurs relayés par l´instrumentalisation des politiques de ce sentiment d´insécurité déjà évoqué mais le calcul d´un taux global de récidive est une illusion tant le nombre de variables joue (âge à la première infraction, passé judiciaire, carence professionnelle). Par exemple le taux de retour en prison dans les 5 ans après la libération est plus élevé quand il s´agit d´une atteinte aux biens (65%), plus faible quand il s´agit d´un crime (meurtre : 13% ; Agression sexuelle : 11%).

Analyse succincte de l´ouvrage
     Le premier chapitre présente l´ensemble des mesures législatives affectant les prisons depuis une trentaine d´années. Il y est mis en lumières deux grandes tendances : l´une vers l´amélioration des conditions de détention et l´autre vers un durcissement des politiques pénales qui voient dans l´enfermement l´outil privilégié de la lutte pour la sécurité et donc contre la récidive.
     Le deuxième chapitre définit les notions de surpopulation et d´inflation carcérale. Il éclaire la question de l´exécution des peines et de l´application de celles-ci. Il différencie l´érosion et l´aménagement de la peine. Ces éclaircissements sont nécessaires pour la clarification du débat actuel.
     Le troisième chapitre analyse les composantes de l´inflation carcérale en France depuis une trentaine d´années et met en évidence le problème de l´allongement des peines et donc du plus grand nombre de condamnés à de longues peines. L´origine de cette inflation est présentée à l´aide de plusieurs paramètres : nombre de détenus à une date donnée, nombre d´entrée annuelles en détention, durée moyenne de détention. Cette augmentation s´est accompagnée de modifications structurelles importantes selon l´infraction, l´âge, le sexe et la nationalité.
     Le quatrième chapitre considère les principaux éléments d´explication à chaque stade du processus pénal.
     Le cinquième chapitre traite des modalités d´application des longues peines. Il pointe que l´abandon de la mesure de libération conditionnelle et le recours renouvelé annuellement aux grâces collectives depuis le début des années 1990 a modifié les pratiques de personnalisation des peines. Enfin, il relève que le moment de la libération pour les très longues peines (>10 ans) est largement différé par la période de sûreté pouvant atteindre trente ans.
     Le sixième chapitre met en perspective l´allongement des peines en Europe occidentale cause majeure de l´inflation carcérale. Forte pour les Pays-Bas, l´Angleterre et le Pays de Galle, l´Espagne et le Portugal, elle est moins élevée en France, en Grèce et en Belgique.  D´autres pays, notamment les Pays scandinaves, ont fait le choix de privilégier une politique de réduction de la population carcérale.
     Le septième chapitre portant sur la récidive en montre les visages pluriels. Une définition du terme et de l´évolution de la méthodologie de son observation dans des cohortes de sortants de prison permet d´appréhender la complexité d´une telle étude.
     Le huitième et dernier chapitre nous livre une analyse sociodémographique de la récidive. Cela permet d´appréhender combien les diverses variables nécessaires à l´étude ne sont pas indépendantes les unes des autres. Après une étude sur le délai de récidive et la nouvelle infraction, est proposée une approche de l´évaluation des risques de récidives. Ce chapitre, donne des chiffres très utiles dans le débat actuel, par exemple, le taux général de retour en prison après 5 ans est de 41%.
     Au terme de son parcours, l´auteur nous invite par ses réflexions au débat. Les statistiques nous montrent que la récidive découle plutôt d´une délinquance ordinaire contre les biens, alors que les préoccupations législatives concernent surtout la récidive des crimes. Elle indique que huit condamnés sur dix ne bénéficient d´aucune mesure d´aménagement de peine individualisé. Elle note une augmentation des longues peines : en 2005 les longues peines sont quatre fois plus nombreuses qu´en 1975 et le nombre des perpétuités a été multiplié par trois. Les coûts d´une telle politique sont exponentiels. L´ensemble des travaux cités dans l´ouvrage et ceux dirigés par l´auteur indique l´influence des modalités d´exécution de peines dans la prévention de la récidive, avec un intérêt accru sur les primo-délinquants.

En conclusion
     Cet ouvrage fait partie de ces livres nécessaires dans le débat actuel qu´anime la question de la liberté vs celle de la sécurité. Solidement documenté, il définit et fait un point chiffré sur la récidive et montre qu´en aucun cas elle ne saurait être ramenée à un taux global général. Il nous donne à comprendre l´inflation carcérale actuelle et bat en brèche l´idée commune qu´une longue peine serait une garantie contre la récidive. Enfin, au travers des données chiffrées qu´il produit et analyse, le livre d´Annie Kensey permet de penser les lois récentes renforçant la répression particulièrement les mesures de sûreté. Il analyse la réalité de ces lois de plus en plus sécuritaires qui sont promulguées à un rythme accéléré depuis 2005 donnant de la France, pays des Libertés, un visage de plus en plus répressif dans le paysage européen.

André Ciavaldini, CRIAVS-RA


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