Éditorial par André Grépillat, Psychologue
Responsable adjoint de la délégation de Grenoble du CRIAVS Rhône-Alpes
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Voilà bien des années qu’un certain nombre d’entre nous, professionnels du soin, sommes engagés, tant dans la clinique que dans la réflexion théorique, sur la problématique des violences sexuelles.
Je n’insisterai pas sur les nombreuses publications dont cette pratique est à l’origine, mais je voudrais rappeler l’état d’esprit qui a présidé pendant toutes ces années à cette réflexion clinico-théorique. En 1996 était lancée la recherche nationale (Rapport de recherche sur les agresseurs sexuels. Claude BALIER ; André CIAVALDINI ; Martine GIRARD-KHAYAT . Paris (FRANCE) : La Documentation Française, 1996, 288 p.) qui continue de faire référence en la matière, même si de nombreux développements ont pu la prolonger depuis. Un appel avait été lancé sur l’ensemble du territoire national aux équipes soignantes qui seraient prêtes à se mobiliser sur le sujet. Ainsi s’est constituée une « communauté de réflexion », ouverte à tou(te)s, n’excluant aucun référentiel de pratique thérapeutique et qui a conduit à la création de l’ARTAAS (Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d´Agressions Sexuelles). Parallèlement, certains de nos collègues choisirent de conduire leur réflexion en dehors de ce réseau.
Nous étions confortés dans cette démarche d’ouverture par la conférence de consensus organisée en novembre 2001 par la Fédération Française de Psychiatrie (Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d´agression sexuelle : Conférence de consensus 22 et 23 novembre 2001. Evry ARCHER ; Jocelyn AUBUT ; Claude BALIER et al. Montrouge (FRANCE) : John Libbey Eurotext et Fédération Française de Psychiatrie, 2002, 581 p.). Or nous assistons aujourd’hui encore à des prises de position péremptoires de certains collègues. J’en prendrai pour exemple une récente émission de télévision du service public, animée pourtant par un journaliste de qualité : dans les dernières secondes de l’émission et alors que le journaliste venait d’annoncer qu’il devait impérativement rendre l’antenne, un médecin invité, resté discret jusque-là, décréta que seules les thérapies cognitivo-comportementales et les traitements chimiques ont une réelle efficacité.
Sur le terrain, nous entendons encore certains praticiens (psychiatres, psychologues, experts) parler de « prédateurs », de « structures perverses ». Sur quels critères diagnostiques ? Plus grave, il en résulterait que ces personnes ne seraient pas accessibles au soin.
Or nous savons bien que c’est en entendant ces propos que se forge ce qu’il est convenu d’appeler « l’opinion publique », qui concerne aussi bien les citoyens que certains décideurs qui n’ont pas le loisir ou la motivation de consulter les études plus approfondies.
C’est donc avec beaucoup de soulagement que nous accueillons le rapport de février 2011 réalisé conjointement par l’Inspection Générale de l’Action Sociale et l’Inspection Générale des Services Judiciaires (Rapport sur l´évaluation du dispositif de l´injonction de soins. Patrick BEAU ; Philippe GALLIER ; Brigitte JOSEPH-JEANNENEY ; Gilles LECOQ. Paris (FRANCE) : IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) et IGSJ (Inspection Générale des Services Judiciaires), 2011, 143 p.). Rédigé dans le même esprit que la conférence de consensus citée plus haut, il fait montre de modération et d’esprit critique. Même si nous pouvons en discuter certains points (mais n’est-il pas écrit pour susciter des commentaires), il constitue pour nous une forme de reconnaissance du travail accompli parfois avec patience et humilité, et un encouragement à poursuivre nos réflexions dans un esprit d’ouverture et de concertation.
Dans l’introduction de son récent ouvrage transcrivant « Les grandes plaidoiries des ténors du barreau » (Les grandes plaidoiries des ténors du barreau : Quand les mots peuvent tout changer. Matthieu ARON. Paris (FRANCE) : Jacob-Duvernet, 2010, 270 p.), Matthieu Aron témoigne du sens profond du rôle de l’avocat qui serait de « ramener l’accusé dans la communauté des hommes, même si c’est un « monstre », même si c’est le pire des « salauds » ». N’est-ce pas cette mission qui est dévolue à la Justice dans son ensemble, au-delà de la nécessaire sanction qu’elle doit prononcer ? Et c’est également dans la même entreprise que nous, soignants, devons nous sentir engagés, quels que soient les mouvements affectifs qui colorent inévitablement l’investissement des patients qui s’adressent à nous ou qui nous sont confiés. Le soin, comme le dit M. Aron à propos de la plaidoirie, n´est-il pas à considérer comme « un pari sur l’humanité et donc l’une des formes les plus achevées de l’humanisme ».